Hoi An, à la croisée des chemins
C’est un véritable mini-bus bolide qui nous emmena de Quy Nhon jusqu’à Hoi An. Rien ne semblait l’arrêter. Ni les frêles motocyclettes qui tremblaient à son passage ni les camions trois fois plus lourds que lui. Chacun en avait pour son compte et était copieusement gratifié de plusieurs coups de tromblon sonore. De fait, l’avertisseur avait été très vraisemblablement modifié par un « pouêt-pouêt » plus puissant et exprimant tout son effet sur plusieurs octaves. Le mâle conducteur s’en donnait à cœur joie ! A l’intérieur, on ne perd pas d’espace. Les assises sont complètes. Le couloir ? Oubliez mon bon monsieur, c’est également pris. On peut y mettre deux personnes supplémentaires sur des glacières-sièges, couvercles recouverts de cuir, qui manquèrent de très peu le concours Lépine. Nous n’eûmes pas le temps de prier et brûler trois bâtons d’encens au génie protecteur des passagers de transport collectif que nous étions déjà arrivés.
Ce fut pour nous le retour au Vietnam touristique que nous avions sans nous en rendre compte quitté en résidant trois semaines à Quy Nhon. Les boutiques de souvenirs et d’artisanat emplissaient les rues et les quais étaient bondés. Quelques moments de réflexion nous firent réaliser que nous étions Dimanche et que les Vietnamiens devaient également profiter de leur jour de repos pour apprécier les beautés de cette belle ville. Car oui, Hoi An est un plaisir à découvrir et à arpenter, de jour comme de nuit. Le jaune règne sur la ville et orne toutes les habitations anciennes authentiques. L’habitation typique est en bois et s’étend sur un rez de chaussée traversant d’une rue à l’autre. D’un côté la devanture d’une boutique, de l’autre l’entrée des livraisons ou encore l’atelier. Au milieu, le lieu de vie, souvent organisé autour d’une cour. Un plan en trois pièces typiquement vietnamien. Un premier étage donnant sur chacune des rues également et où les habitants sont toujours prêts à hisser les meubles en catastrophe à travers une trappe prévue à cette occasion. Car Hoi An a connu et connait encore de nombreuses inondations. Les eaux capricieuses peuvent monter jusqu’à 2 mètres à l’intérieur des maisons. Les habitants sont devenus flegmatiques et leur mobilier une fois à l’abri, troquent tout simplement le scooter pour la barque.
Parmi ces dédales harmonieux où scintillent la nuit lanternes et lanternons multicolores, nous avons découvert de belles maisons anciennes où les influences sino-japonaises se mêlèrent au style vietnamien pour donner naissance à des architectures uniques. Ces maisons sont le reflet du glorieux passé de Hoi An comme port commerçant où l’on se devait d’avoir un comptoir. Européens, Chinois et Japonais s’y rencontrèrent au XVIème et XVIIème siècle. Les Japonais en partirent suite à la sommation de leur Empereur de revenir au pays car craignant le catholicisme. Les Chinois qui s’y étaient réfugiés suite aux luttes internes dans leur pays finirent par le délaisser comme les autres commerçants du fait de sa difficulté d’accès, le port s’étant ensablé. Cette difficulté en fit aussi sa bonne fortune en dissuadant les navires Américains d’y stationner pendant la guerre et donc d’en faire une cible. On lui préféra alors le port de Da Nang. Mais ce glorieux passé perdura, souvent grâce à la persévérance des familles habitant et rénovant les lieux. Des temples aux inspirations Chinoises demeurèrent également au milieu des habitations anciennes, leurs jardins soignés, leurs peintures rutilantes et leurs autels souvent dédiés à la Déesse de la Mer.
Ce passé est mis en scène cinq soirs par semaine dans un spectacle aux allures de Cinéscénie du Puy du Fou, bien que la taille n’en soit pas comparable et les acteurs tous professionnels. Un parc à thème ouvert à la tombée de la nuit où nous nous plûmes à nous balader dans les allées au milieu des éclairages de mille couleurs. Le spectacle est bien exécuté et mémorable par ses belles musiques et ses mises en scène aux éclairages minutieusement travaillés.
Nous eûmes un coup de cœur. Sans doute l’un des plus beaux musées que nous avons visité au Vietnam : le musée des ethnies (Precious Heritage Art Gallery Museum). Il fut créé par un photographe Français d’origine Normande, Rehahn, reconnu et primé mondialement comme l’un des meilleurs photographes portraitistes. Il se prit d’amour pour le Vietnam où il s’installa en 2011 et plus particulièrement pour ses 54 ethnies qu’il décida de répertorier. Arpentant les montagnes du Vietnam du Nord jusqu’au Sud, il alla à la rencontre de chacune, parfois au péril de sa vie, les routes étant dangereuses. Le hasard fut de son côté, lui faisant découvrir certains représentants d’ethnies à un carrefour, sur le bord d’un chemin. Il les questionna sur leurs cultures, leurs traditions et notamment leurs costumes traditionnels, marqueurs de leurs histoire et spécificités. Au fil des rencontres s’est tissée devant lui l’histoire de ces ethnies, certaines en voie de disparition avec à peine quelques dizaines de membre, d’autres dynamiques, s’adaptant au monde moderne tout en réussissant à garder leurs coutumes. Il leur dédia ce musée, où avec simplicité et sensibilité il expose pour chaque tribu la photo d’une rencontre, un exemplaire original du costume traditionnel (souvent offert par l’un des membres de la tribu) et un texte gravé sur bois décrivant les us et coutumes de l’ethnie et les circonstances de sa rencontre. De ces rencontres, il en développa aussi une profonde conviction : que la vraie beauté est chez les personnes âgées. Libérées de la pression sociale et des futiles contraintes du paraître, elles expriment avec spontanéité et sagesse leur joie de vivre et les choses qui comptent vraiment. A un rire franc succède souvent une parole à vous faire méditer. Leurs yeux sont à la fois pétillants et profonds.
Rehahn fut notamment célèbre pour le cliché incroyable d’une jeune fille Cham aux yeux bleus, qu’elle hérita d’ailleurs d’un aïeul Français. Le photographe la rencontra dans le Sud du Vietnam où résident les derniers Cham vietnamiens. Nous, c’est vers l’Ouest que nous nous dirigeâmes le temps d’une demi-journée, à une heure de Hoi An, pour visiter le sanctuaire Cham de My Son. A son apogée, celui-ci compta près de 80 édifices mais la guerre du Vietnam et les bombardements intensifs des B52 en pulvérisèrent bien la moitié, laissant quelques beaux cratères ça et là. Il reste pourtant quelques belles structures de ce site unique mis au jour par Henri Parmentier, archéologue Français. Logées dans un amphithéâtre de collines, les ruines émergent de la forêt humide et nous avons ressenti la même impression qu’à Palenque au Mexique où histoire, vieilles pierres et végétation gardent à jamais le secret de puissantes civilisations disparues.
La chaleur humide de cette journée et le beau temps nous donnèrent ensuite envie de retrouver la mer, à seulement quelques kilomètres de Hoi An. Elena et Miki furent ravies de pouvoir s’amuser dans le sable et les vagues sachant que quelques jours plus tard nous retrouverions l’hiver en Chine. Au bord de l’Océan, les bars de plage se sont vite construits mais sans bétonner, dans une harmonie plutôt réussie et ce fut donc avec plaisir que nous y passèrent nos derniers moments à Hoi An.