District 6
Non, ce n’est pas une référence à la récente oeuvre de science-fiction Hunger Games, mais bien le nom d’un quartier du Cap dont l’histoire caractérise à la fois le melting-pot au coeur de la ville et l’extrémisme de l’apartheid.
Le District VI s’est peuplé au fur et à mesure des différentes vagues de migrants, travailleurs ou bannis d’autres pays et en exil au Cap. Point d’étape clé sur la route des Indes, le commerce maritime au Cap fut très actif pendant plusieurs siècles, nécessitant une main d’oeuvre bon marché provenant soit des Africains, esclaves puis descendants d’esclaves, soit des immigrés d’Inde et d’Indonésie, puis plus largement d’Asie. Après l’abolition de l’esclavage sous l’impulsion des britanniques, les esclaves libres s’installèrent pour une bonne partie dans le District VI, appréciant sa centralité, sa proximité aux docks et aux plages, et son atmosphère cosmopolite. Une communauté d’expatriés juifs y prit également ses quartiers.
Coupe d’un “Slave Tree”, arbre sous lequel les esclaves étaient vendus aux enchères Le port du Cap Plage au Centre Ville Le Fort de Bonne Espérance

Ainsi vivaient tous ces hommes et femmes d’origines et de races différentes, mais dans une tolérance réciproque. Les conditions de vie étaient spartiates et nombres d’habitations insalubres. On y vivait de peu de choses mais dans un véritable esprit d’entraide et d’appartenance à un quartier. Les rues étaient constamment peuplées des petits commerçants, des enfants qui jouaient, des gangs “à l’ancienne” qui marquaient leur territoire et des groupes de musique qui sonorisaient les bars et les rues du quartier dans des concerts et défilés hauts en couleur.
Autour de la cuisine Les grandes occasions Discussions entre amis Musique entre amis Jazz bands Groupe de musique


Tranchant avec l’atmosphère de tolérance qui animait le District VI, les lois de l’apartheid se sont faites de plus en plus sentir, imposant aux noirs mais aussi aux Indiens et aux autres communautés non-blanches, diverses humiliations et restreignant de plus en plus leurs libertés. Ces derniers ont maintes fois bravé les interdictions grandissantes, convaincus de leur droit à la liberté et à l’affirmation de leur identité de Sud-Africains, quelque soit leur pays d’origine. Ils ont protesté pacifiquement puis de façon plus virulente contre les lois limitant leurs droits de circulation, leurs droits à l’éducation, leurs droits de vote, leurs droits à la propriété. Souvent ces manifestations se soldaient par de l’emprisonnement, des répressions physiques qui pouvaient vite dégénérer et entraîner la mort de plusieurs dizaines de personnes.
Puis vint en 1950 le Group Areas Act destiné à réaffecter définitivement chaque groupe racial dans des lieux et zones précis de la ville où chaque groupe ne se mélangerait pas et surtout pas avec les blancs qui devaient conserver les 85% des terres d’Afrique du Sud qu’ils possèdaient…bien que ne représentant que 15% de la population. Le déplacement d’un quartier entier, si dense, ne sembla pas possible à la majorité des habitants du District VI. Et pourtant, un matin, les camions étaient alignés dans la rue, les policiers sommant les habitants de prendre leurs effets personnels et rejoindre les camions pour être conduits dans leur nouveau quartier. La plupart ne prirent que le strict nécessaire: une valise. Beaucoup perdirent leurs voisins, les familles furent éclatées et les trajets pour venir travailler en ville significativement allongés, augmentant ainsi la précarité et la pénibilité du travail.
Le District VI fut alors purement et simplement rasé. Rayé de la carte. Les gravats furent jetés à la mer.
Avec la fin de l’apartheid, un programme de restitution a été mis en place, donnant l’opportunité à d’anciens habitants de venir réhabiter leur quartier en y faisant reconstruire une maison sur plan. Pour les autres, une indemnité est octroyée aux anciens habitants ne souhaitant ou ne pouvant pas revenir s’installer.
District VI avant le déplacement Camions alignés pour accompagner les habitants dans leurs nouveaux quartiers Déménagement de force Les buldozers en action District VI rasé
Nous avons visité le musée du District VI. A l’initiative d’anciens habitants du quartier, celui-ci fut aménagé dans une ancienne église méthodiste et regroupe une mine d’informations et de témoignages sur la naissance du District VI, la vie du quartier puis sa destruction. L’ensemble des images et témoignages dans cet article proviennent du musée.