Virée dans l’Outback – De Broken Hill à Hay

Virée dans l’Outback – De Broken Hill à Hay

Il nous faut faire une centaine de kilomètres pour voir soudain apparaître les paysages ocres qui nous sont déjà familiers depuis notre périple dans le Red Centre. Les petits buissons secs parsèment la robe du paysage aux tons jaune, orange et rouge, et les premiers éperons du désert rocailleux apparaissent ça et là. Les cours d’eau asséchés sont reconnaissables aux imposants River Red Gums, un type d’eucalyptus qui pousse au bord et dans le lit des rivières.

Soudain, au loin surgit une colline à la ligne de crête géométriquement dessinée et à laquelle il semble manquer des morceaux. Est-ce cela Broken Hill ? Oui, nous sommes bien arrivés au point le plus à l’Ouest de notre périple, dans cette célèbre ville minière. C’est dans cette colline rocailleuse que fut découvert en 1883 l’un des plus importants filons d’argent et de zinc au monde. Plusieurs mines s’ouvrirent et furent exploitées, d’abord en utilisant des puits et des tunnels, puis à ciel ouvert. De cette exploitation naquit tout simplement la plus grande entreprise minière du monde, BHP Billiton.

Broken Hill, ville de mineurs, entassés dans les entrailles de la terre, soudés face au dur labeur qui a déjà vu près de 800 d’entre eux perdre la vie depuis le début de l’exploitation. Un mémorial leur rend hommage sur le site de la première mine. Connu dans le monde entier, l’artiste Pro Hart, père de la peinture Outback et récemment décédé, rendit aussi hommage à ces mineurs dans nombre de ses peintures. Il savait de quoi il parlait, ayant travaillé plus de vingt ans à la mine.

Pro Hart, la rolls royce revisitée

Comme souvent, on nous conseille de voir la cour de justice ainsi que la prison de Broken Hill. C’est fascinant l’intérêt qu’ont les Australiens pour leurs anciennes prisons. Pays de condamnés, ne l’oublions pas ! Bon, pour nous c’est du déjà-vu, mais nous faisons amende honorable en faisant un rapide tour à l’attraction qui vient souvent au 3ème rang des lieux les plus visités dans les villes Australiennes : le railway museum ! Dans celui-ci, on s’attarde notamment sur la ligne de train d’à peine 60 kilomètres qui relia Broken Hill à Cookburn en passant par Silverton, notre lieu de villégiature !

Si Broken Hill compte 20,000 habitants, Silverton n’en compte pas plus de quarante. Et ce malgré le fait que de l’argent fut aussi découvert ici en 1875. Silverton, c’est la ville désert. Après Silverton, c’est l’immensité, telle qu’on peut l’admirer depuis l’éperon bien-nommé « Mundi Mundi » ou encore depuis le parc national du « Living Desert » où une belle promenade monte jusqu’à un promontoire d’où plusieurs sculptures d’artistes internationaux veillent sur les pentes rocailleuses où l’oeil expert sait repérer les wallaroos. Le wallaroo, vous l’aurez compris, c’est tout simplement l’espèce entre le wallaby et le kangourou.

Des vieilles bâtisses, un hôtel-pub, une prison (bien sûr !), des carcasses de voiture et d’anciennes baraques, des morceaux de tôle, Silverton, c’est le décor idéal pour tourner un film. Il y en eut plusieurs mais ici, le plus mythique, c’est la trilogie Mad Max. Le deuxième volet notamment qui fut tourné en partie à Silverton, ce qui explique qu’on y trouve un musée Mad Max, tenu par un fan. Il prépare d’ailleurs les quarante ans du film en reconstituant le décor d’une des scènes du film : le célèbre compound de Mad Max. Nous, on connait pas, Olivier n’a vu que Mad Max 3. Incultes !

C’est ici que vivent Petah et son mari, Duncan, qui avec un prénom pareil est bien évidemment d’origine Ecossaise. Duncan travaille à la mine. Petah a travaillé ving-trois ans dans la police et désormais s’occupe de leur ferme de…dromadaires !

Des dromadaires, mais qu’est-ce que ça vient faire en Australie ? Normalement, rien. Mais ils ont été introduits au milieu du XIXème siècle par les colons britanniques pour les aider dans leurs longues expéditions aux confins du désert Australien. Leurs chameliers Afghans immigrèrent aussi par la même occasion. Avec l’industrialisation et notre époque moderne, les dromadaires ont été abandonnés. Plusieurs centaines de milliers peuplent désormais l’Australie, une partie à l’état sauvage, considérés comme « espèce invasive ». L’autre partie est reconvertie dans des fermes comme celle de Petah par exemple pour produire du lait ou pour des loisirs.

Petah et Duncan sont un vrai couple de l’Outback, comme le montre le film de leur mariage qu’ils ont partagé avec nous et qui va passer très bientôt à la télévision australienne.

Duncan a bu au moins cinq bières avec ses témoins en attendant l’heure d’aller à l’église. Puis, il a fait vrombir le moteur de son 4×4 pick-up et a dessiné avec, à vive allure, des cercles dans le sable avant de faire une arrivée en cow-boy moderne juché sur la plateforme arrière.

Petah, quant à elle, est tout naturellement arrivée sur son dromadaire, depuis sa ferme (un kilomètre jusqu’à l’église), en robe de mariée blanche et santiags. Les filles d’honneur ne faisaient pas les malignes puisqu’elles avaient été elles aussi juchées sur des dromadaires.

Alex, l’un de leurs sept chiens, un border collie gardien de troupeau, était en charge d’apporter les alliances jusqu’à l’autel. La messe fut un peu longue pour lui et il s’endormit avant d’avoir dû faire son entrée !

La soirée fut très animée, au Silverton Hotel Pub, avec la présence de l’une des huit drag queens de Broken Hill. Morceau de vie dans l’Outback.

L’Outback nous a pris nos filles. Elles ont véritablement disparu pendant ces quelques jours chez Petah & Duncan. Trop de travail. Nourrir les chameaux, promener les huit chiens par groupes de deux ou trois, aller chercher les ânes qui s’aventurent souvent jusqu’au village, ramasser les oeufs de toute taille et pondus dans des endroits parfois très insolites (sous un morceau de tôle, entre deux pneus), brosser les poneys…Mais il est déjà l’heure de partir.

Après nos adieux au désert Australien, nous rejoignons Wentworth où nous retrouvons la Darling river qui dans un dernier galop rejoint sa consoeur la Murray, plus grand fleuve d’Australie. Ensemble, elles convergent jusqu’au Sud de l’Australie pour se jeter dans l’Océan Indien. Pas étonnant que Wentworth soit le premier port intérieur d’Australie. La présence soudaine de toute cette eau transforme la végétation et le paysage. Les oiseaux sont nombreux au bord des étendues d’eau et des zones humides. Les hérons se comptent par dizaine, souvent perchés sur une branche, faisant sécher leurs ailes au soleil. Les pélicans passent en rase-mottes. Anecdote: c’est dans l’un des mallee (type d’eucalyptus) de cette région que l’on a fabriqué le plus grand didgeridoo jouable d’Australie!

Pourtant, les plaines arides ne sont pas loin. Il y a 100,000 ans, les rivières étaient plus larges, leur débit plus fort. En s’asséchant en partie, elles ont déposé une partie du sable qu’elles transportaient. Le vent a alors fait son oeuvre, sculptant des dunes de sable vieilles de 40,000 ans. Les Perry Sandhills.

A une centaine de kilomètres, c’est le même phénomène qui fut à l’origine des célèbres « Walls of China » de Mungo. Le Lake Mungo s’assécha et les vents dominants sculptèrent ce qui ressemble de loin à une grande crête de sable en forme de croissant de lune. En se rapprochant, on distingue de nombreux monticules de sable solidifiés, sculptés, striés par l’érosion. Sur l’autre versant, de belles dunes de sable blanc aux formes douces s’étendent. C’est dans ce paysage fixé par le temps, où cavalent aujourd’hui seulement les émeus et kangourous, que furent découverts parmi les plus anciens squelettes aborigènes datant de 40,000 ans. Une manière pour nous de conclure cette aventure par le commencement.

Au fil des kilomètres, la présence des moutons s’est précisée. Loin de l’image d’épinal où les moutons broutent leur herbe sur les pentes douces de collines verdoyantes, les troupeaux évoluent ici sur des étendues planes à perte de vue, où un léger tapis de petites pousses recouvre à peine la terre rouge.

Mais attention, depuis l’arrivée des Européens, le mouton est sacré en Australie. Plus précisément le mérino, qui fut importé d’Afrique du Sud, et bien évidemment d’Angleterre encore avant. Aujourd’hui, on en compte plus de 70 millions en Australie, ce qui en fait tout simplement le deuxième plus gros cheptel mondial après la Chine.

L’élevage des moutons et les tontes annuelles ont longtemps marqué la vie des Australiens. Les woolshed où l’on tondait les moutons sont ici des vestiges historiques, comme celui de Hay, et certains encore en activité.

Les shearers (tondeurs de mouton) constituent une classe de travailleurs aussi ardue que les mineurs. Sillonant le pays, hier en vélo, aujourd’hui en voiture, ils vendent leur main d’oeuvre aux exploitants, à raison de 1€ net par mouton (une fois déduit impôts, taxes, matériel), 200 moutons en moyenne par jour. Commençant généralement vers 18 ans, parfois dès 14 ans, ils travaillent jusqu’à l’âge de 40 ans avant de chercher un autre travail, le dos rompu, les mains caleuses. Hier aux ciseaux, aujourd’hui à la tondeuse, la tonte d’un mouton est un art et même une compétition, pour les meilleurs. Le record de moutons tondus en une journée (huit heures) est aujourd’hui proche de 500. Un mouton chaque minute. Autant vous dire qu’on ne tient pas vingt ans à ce rythme-là !

Le silence règne dans les woolsheds dans lesquels nous pénétrons mais nous sommes chanceux de rencontrer l’un de ces vieux shearers qui partage avec nous son savoir et toute la difficulté du métier. Un métier dur, aride, comme le pays.

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