Gloucester, terre d’élevage

Gloucester, terre d’élevage

L’aéroport est désert. Les avions sont garés, alignés sur le tarmac, comme hivernés, les moteurs bouchonnés. Les passagers de notre vol attendent patiemment, respectant les deux fauteuils de séparation entre chacun. Dans l’avion, on garde les masques. Un fauteuil vide entre chaque passager. Le couloir compte pour un fauteuil vide. Décollage imminent, direction Sydney. L’un des très rares vols au départ de Melbourne.

Trois heures par la route, direction Nord pendant deux heures puis bifurquer Nord-Ouest pour les 80 derniers kilomètres. La région ne figure pas dans le top 10 des lieux incontournables pour le touriste de passage. Ni même dans le top 100 d’ailleurs. Nous sommes en terre d’élevage, l’un des paysages tout à fait caractéristique, parmi de nombreux autres, de l’Australie et particulièrement de l’état du New South Wales.

Presque quarante ans après l’arrivée de la Première Flotte et des premiers colons prisonniers, ces derniers commencent à avoir purgé leur peine et à pouvoir se voir octroyer des terrains à cultiver en hommes libres. Par ailleurs, des Européens libres décident de plus en plus de tenter l’aventure australienne, attirés par ces terres vierges et pleines de promesse. Petit à petit, ils pénètrent dans le territoire australien, depuis les différents ports d’arrivée sur la côte, dont Sydney. Les terrains cultivés, labourés, travaillés s’étendent. En quelques décennies, un pays d’agriculture émerge parmi les plus belles collines et pâtures naturelles d’Australie, inspiré des pratiques importées d’Angleterre.

Ici, on élève les vaches et veaux pour les produits laitiers et la viande. Ce ne fut pas toujours le cas. Mais les fortes pluies et les menaces des dingoes ont incité les premiers éleveurs à troquer leurs moutons, plus fragiles, pour des vaches. Marque de cette longue tradition d’élevage, le marché aux bovins de Gloucester où se tiennent encore les ventes de bétail. On y trouve nombre d’enclos, des passerelles d’où les acheteurs peuvent lorgner et évaluer le bétail, préparant leurs offres. Dans un hemicycle en bois sont présentés les plus beaux specimens autour des gradins où se pressent les représentants des différentes entreprises alimentaires. Dans les prairies alentours, au fonds des vallons comme sur les pentes des collines, les bêtes paissent paisiblement. Les pelages sont roux, noirs, marrons et blancs. De temps en temps, d’imposants taureaux aux muscles saillants peuvent être vus seuls dans leur champs, attendant d’être appelés à faire leur devoir…

Gloucester est l’un de ces petits villages de 2500 habitants, façonné au gré des familles de pionniers. Dans la région, ceux qui ont tenté l’aventure australienne étaient majoritairement Ecossais! Des Mac-Ceux-Ci et des Mac-Ceux-Là. Une seule rue principale autour de laquelle ce sont élevées le magasin général, l’hôtel des voyageurs et représentants de commerce de passage, la gare, le notaire, puis plus tard l’école de beaux arts et le cinéma. Surplombant le coeur du village, une tour de l’horloge en bois a été érigée comme monument aux morts de la première guerre mondiale.

Au loin, The Bucketts Mountains, qui ont aussi donné leur nom à la route principale menant à et traversant Gloucester: the Bucketts Way. Pourquoi the Bucketts, puisque ces montagnes n’ont pas vraiment la forme d’un seau ? La ligne de crête est formée de larges rochers faisant plus penser à une dentition. C’est en réalité bien cela que les Aborigènes de la région ont décrit en appelant cette montagne Buccan Buccans qui en Aborigene veut dire « père des pierres veillant sur la terre sacrée »…et que les nouveaux arrivants traduisirent phonétiquement en Bucketts.

Comme ailleurs, les Aborigènes accueillirent les nouveaux venus avec curiosité, puis avec mécontentement après s’être vus privés de leurs terres, de leurs lieux sacrés et de leur nourriture indigène. Ils répliquèrent en attaquant le bétail et volant certaines bêtes dont ils avaient observé qu’elles pouvaient remplacer leur nourriture traditionnelle. Les représailles furent rapides et radicales: incendies des campements, massacres des tribus, empoisonnement des points d’eau utilisés par les Aborigènes. A cela s’ajoutèrent les maladies importées. La région fut nettoyée des trois principales tribus: les Worimis, les Boripis et les Gringais.

Comme d’autres, la région connut sa ruée vers l’or mais cela ne dura que 30 ans. En 1867, alors qu’on cherchait du bois, un filon fut decouvert à Copeland. En peu de temps, quelques milliers de chercheurs s’amassèrent sur les pentes escarpées et boisées de Copeland. Les tunnels et puits se multiplièrent. Les machines à vapeur pour extraire et broyer le minerai furent assemblées et fonctionnèrent à plein régime. Le rêve fut de courte durée. Le filon ne produisit pas suffisamment pour rentabiliser les investissements faits pour extraire l’or. On deserta la mine dès la première opportunité d’un filon plus rentable. Les puits furent abandonnés, fermés et certains s’effondrèrent. On rencontre ça et là ces entrées de puits, fermées d’une grille, des vieilles pièces de machinerie, signes du temps où l’on esperait que quelques pépites fassent son bonheur.

Entrée de mine
Schéma d’un des puits de la mine de Copeland

Non loin, le parc national de Barrington où une forêt dense recouvre des collines escarpées. Nous ne sommes pas au Queensland encore mais ce sont là aussi les vestiges des forêts du Gondwana, les roches étant âgées de 300 à 400 millions d’années. La flore est mixte et parmi les espèces tempérées-alpines, on distingue les premières représentantes du climat subtropical voisin.  Les arbres se concurrencent pour atteindre le soleil au niveau de la canopée, les lianes et autres plantes rampantes grimpent les unes sur les autres et le long des fûts pour cueillir plus haut les rayons du soleil. Des fougères s’installent même sur les troncs auxquels elles semblent louer un balcon au soleil.
De ces superbes forêts aux longs arbres et troncs rectilignes seront extraits les nombreux bois utiles aux constructions des villes naissantes d’Australie. Coupés puis tirés à cheval à travers les pentes. Les cèdres rouges très appréciés pour leur qualité naturelle et leur couleur disparaîtront petit à petit. Du déjà-vu.

Arbre gigantissime
Arbre gigantissime
Vers la canopée

Plus l’on s’enfonce dans la forêt, plus elle devient impénétrable. Et l’on comprend alors les récits d’accidents d’avion dans cette région où les appareils n’ont jamais été retrouvés ou encore les hors-la-loi ayant trouvé refuge dans ces montagnes pendant plusieurs années, fuyant de véritables chasses à l’homme lancées à leurs trousses. L’un des plus célèbres fut le bushranger Fred Ward, plus connu sous le nom de Thunderbolt. Galant homme et poli, il fut appelé le gentleman ranger…mais connut la même fin que Ned Kelly et d’autres bushrangers. La mort! La justice vous rattrape toujours!

Gentleman mais recherché !
Quelques blessures en effet…
La dernière heure de Thunderbolt
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