Sur les traces d’Hojo Masako (Japon)

Sur les traces d’Hojo Masako (Japon)

121ème sur 153 pays. Voici le dernier classement du Japon en termes d’inégalité hommes / femmes…après les Emirats Arabes Unis et avant le Koweit.

Oui, nous parlons bien d’un des membres du G7, du 3ème pays le plus riche du monde en termes de PIB (25ème en termes de PIB/habitant) et du 19ème en termes d’IDH (Indice de Développement Humain prenant en compte le revenu national brut mais aussi l’espérance de vie à la naissance et la scolarisation).

La place de la femme au sein de la société japonaise et son statut vis-à-vis de l’homme est un sujet complexe et tabou, dans une société qui reste très conservatrice. Pourtant, le Japon n’est pas imperméable aux revendications désormais mondiales concernant l’amélioration des droits et conditions des femmes et leur égalisation sur ceux des hommes. Mais les débats et actions s’y révèlent beaucoup plus poussifs et/ou avec des résultats moindres, tout du moins à court terme.

Plusieurs récents scandales révèlent l’étendue du chemin qu’il reste à parcourir. Ainsi, des universités de médecine mirent en place une réforme du système de notation visant à limiter la part de femmes médecins compte tenu de l’absentéisme dû à la grossesse qui impacterait négativement le nombre de médecins disponibles. Ou encore le mouvement #KuToo, faisant écho au mouvement #MeToo, dans lequel plusieurs milliers de femmes japonaises ont dénoncé l’obligation explicite ou implicite faite aux femmes de porter des talons haut au travail. Le gouvernement japonais déclarera que porter des talons est “profesionnellement nécessaire et approprié”. Tollé. A noter qu’en japonais, kutsu signifie chaussure, et kutsuu…douleur! Entre les talons haut et les chaussures des geishas, faut-il y voir un signe?

L’une des difficultés réside dans la culture japonaise et le rôle, et donc l’image, que la femme y tient. Malgré des évolutions progressives, influencées par un mouvement général d’amélioration du statut des femmes, l’image de la femme japonaise reste intimement liée à la femme-objet et au rôle de parfaite femme au foyer.

La femme-objet fait référence surtout au statut de la femme érigée en objet esthétique, dont la beauté, le raffinement, la propreté, la netteté mais aussi la discrétion doivent être entretenus. Ainsi, nombre d’espaces et de lieux publics leur sont dédiés voire réservés. Ce qui peut paraitre comme un privilège à certains, devient une subtile ostracisation, un cantonnement dans une vision figée de l’idéal de femme japonaise. Les geishas ne seraient finalement qu’une expression ultime de ce statut.

La femme au foyer fait référence au rôle essentiel de chef du foyer que doit tenir la femme japonaise dès lors qu’elle se marie et enfante, vision sans doute influencée par le confucianisme provenant de Chine, définissant notamment le rôle de la femme vis-à-vis de son mari. Cuisiner, coudre, préparer les affaires pour les membres de la famille partant travailler ou étudier, gérer l’intendance…autant de tâches considérées essentielles et du rôle des femmes. Elles pilotent à cet égard le budget du foyer, pendant que le mari travaille et assure le principal revenu de la famille. Les chiffres actuels révèlent la persistance de ce modèle avec seulement 25% des femmes ayant enfanté travaillant à temps plein. Rien d’anormal puisque le système fiscal japonais valorise les femmes qui restent à la maison pour s’occuper des enfants. De ce fait, les crèches et structures pouvant accueillir les enfants en bas âge sont peu nombreuses, et donc découragent d’autant plus les jeunes mères à travailler à temps plein. Plusieurs mesures récentes tentent de mofidier cette situation mais le modèle reste lent à changer.

Loin de nous néanmoins de vouloir donner des leçons. Il n’y a pas de recette toute faîte (cela se saurait!) et nos chers pays Européens ont eux aussi encore beaucoup à faire pour atteindre une égalité réelle entre les hommes et les femmes. Surtout, toute initiative, pour réussir, doit avant tout s’inscrire dans la culture même de chaque pays, correspondre à une évolution du schéma traditionnel. Ainsi, le mouvement international #MeToo dénonçant le harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes, n’a été que très modérément suivi au Japon, certains disent car trop violent dans son modus operandi, ne correspondant pas aux façons de faire japonaise.

Onna Bugeisha

Etonnamment, l’inspiration pourrait venir du passé, de l’histoire même du Japon. Le Japon a connu 8 impératrices, preuve que la patrilinéarité du trône impérial instauré en…1947 (!), n’a pas toujours été la règle. Le statut actuel de la femme japonaise est apparu à l’époque d’Edo (1603 à 1868) où petit à petit elle devint vassal de son mari, destinée à faire des enfants. Plusieurs lois furent passées pour restreindre leur droit. Il faut donc chercher plus loin encore. Au début du Moyen-Âge japonais, à l’émergence des samouraïs et à l’instauration du shogunat.

A cette époque, les familles de guerriers japonais vont prendre le contrôle du paysage politique japonais au détriment de l’empereur et de l’aristocratie civile. Dans cette société existe une classe de femmes guerrières, les onna bugeisha. Filles de guerrier, femmes de guerrier, les onna bugeisha étaient initiées dès leur enfance à la pratique des arts martiaux et des armes de combat, dont le kaiken et surtout la naginata, la lance à lame courbe, emblématique des femmes japonaises. Aux côtés de leur mari, de leur père et leurs frères, ces femmes guerrieres avaient une forte influence et étaient respectées. A la suite de faits de guerre, elles pouvaient obtenir des pouvoirs et rôles normalement échus aux hommes. Tomoe Gozen ou encore Hangaku Gozen font partie de ces célèbres femmes samouraïs dont la légende traversa les âges, notamment pour leurs faits d’armes, vainquant des armées les surpassant pourtant en nombre. Ainsi Tomoe Gozen fut parmi les seuls cinq survivants d’une bataille opposant 300 soldats à 2000.

Mais plus célèbre et inspirant encore fut le destin d’une de leurs contemporaines, Hojo Masako, la nonne-shogun. Appartenant à une importante famille guerrière du clan Hojo, elle fut la femme de Minamoto no Yoritomo, le premier shogun du Japon en 1185, provenant du clan Minamoto. Elle montra déjà toute sa force de caractère lorsqu’elle résista à son père qui la destinait à un autre homme, comme la tradition le voulait, et se maria avec celui qu’elle avait choisi, Yoritomo. Ce dernier installa la capitale du shogunat à Kamakura qui donna son nom à cette première période du Moyen-Age japonais qui durera jusqu’en 1333.

Bien que marié à Minamoto no Yoritomo, Masako fit encore preuve d’indépendance en gardant le nom de son clan, Hojo. Elle hérite également d’une partie du territoire de son père, le contrôle et l’administre en conséquence.

Selon la pratique commune à cette époque, son mari Yoritomo eut plusieurs maîtresses, dont l’une fut installée dans une maison non loin de sa demeure afin qu’il puisse lui rendre visite régulièrement. Masako fit brûler sa maison et exiler le vassal ayant aidé à son installation. Mais elle laissa la maitresse s’en aller saine et sauve, montrant une inclinaison à protéger les femmes qu’elle répètera à plusieurs reprises. De même avec ses filles: elle déjoua un assassinat contre l’une d’entre elles et dissuada d’imposer un mari à l’autre. Malheureusement, elles moururent toutes les deux de maladie, alors qu’elles étaient à peine de jeunes adultes.

Suite à une mauvaise chute, son mari Yoritomo mourut en 1199, Hojo Masako, sa veuve, prit alors les rênes du shogunat, malgré la présence de son premier fils Yoriie, en tant que shogun. Ayant prêté ses voeux bouddhiques suite à la mort de son mari, elle devint nonne sans pour autant lâcher le pouvoir, d’où son surnom de nonne-shogun. Avec son ascension, son clan Hojo s’installa à la tête du pays et y demeura, grâce à son intelligence et sa force de caractère, jusqu’à la fin de l’ère Kamakura.

Les obstacles furent nombreux. Ainsi, Masako se rendit vite compte que son premier fils shogun exercait mal son pouvoir, était brutal, et pactisait avec un clan ennemi, les Hikki. Elle créa alors un conseil pour canaliser et orienter son pouvoir mais en vain. Elle le fit donc exiler. Il fut même assassiné sur ordre du frère de Masako, Yoshitoki.

Masako fut vive et rapide dans ses mesures pour sécuriser alors le contrôle du pouvoir par son clan et le diriger conjointement avec son frère.

Son second fils Sanetomo devint le 3ème shogun de l’ère Kamakura. Poête, il était plus interessé par l’art et la culture. Le vrai pouvoir fut donc conservé par Masako avec l’aide de son frère. Ce dernier prit le contrôle des principaux organes administratifs du shogunat. Sous l’influence de Masako, plusieurs lois accordèrent des droits d’héritage pour les femmes équivalents aux hommes, la gestion de leur budget et le droit de se battre.

Plus tard, elle finit par faire remplacer son fils, inadapté au rôle de shogun, par un autre…âgé de 2 ans. Elle garda donc le pouvoir. Le jour-même de son abdication, son fils est assassiné!

En représentant cette période particulière des onna bugeisha, où un groupe de femmes s’est élevé au rang des hommes, peut-être peut-elle inspirer le Japon et les Japonais; les conduire à accepter que les femmes puissent tenir un autre rôle, à l’égal des hommes, tout en s’inscrivant dans la tradition japonaise, sans bouleverser l’identité du Japon, sans devenir une autre culture que le Japon ne saurait être. Du reste, ce fut possible, il y a près de 800 ans…

 

 

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