Roadtrip – Semaine 3

Roadtrip – Semaine 3

De Byron Bay à Sydney

A quelques heures au Sud de Byron Bay se situe Coffs Harbour. Ce ne sera pour nous qu’une ville étape sur la route pour rejoindre Nelson Bay. Largement ouverte sur l’océan, Coffs Harbour possède plusieurs plages pour tous les goûts, l’une bien abritée dans la baie protégée par une digue et la barrière naturelle de Muttonbird Island, l’autre balayée par les nombreux rouleaux qui s’étendent sur l’horizon et dans lesquels évoluent les surfers chevronnés. Pas l’ombre d’un mouton en revanche sur l’île de Muttonbird. Mais plutôt des milliers de puffins fouquets, oiseaux migrateurs au pelage noir de gris et blanc qui y ont élu domicile pendant la période de nidification. Les Aborigènes se nourrissant de la chair de cet oiseau, mais pas plus que de besoin selon la pratique Aborigène, trouvèrent qu’elle avait un goût de mouton et c’est ainsi que vint le nom de Muttonbird Island. Dans la journée, peu d’activité, les parents partant au large chasser et les petits restant au nid. Au-delà de sa nombreuse colonie de puffins fouquets, Coffs Harbour est réputée dans toute l’Australie pour avoir lancé dans les années 60 la mode de l’objet kitsch démesurément grand plus communément appelé le Big Thing. Créés pour promouvoir un restaurant, un commerce, une spécialité locale ou un personnage historique, les Big Things parsèment le territoire Australien et agrémentent de façon ludique le trajet des locaux comme des touristes étrangers. Ainsi, Coffs Harbour a sa Big Banana, initialement imaginée pour signaler l’exploitation bananière locale et désormais emblême d’un parc d’attraction sans grand intérêt. Près de 200 autres Big Things émaillent le sol Australien.

A quelques kilomètres de là, nous avons passé la nuit sur le terrain d’un centre équestre qui fort opportunément a installé des emplacements de camping autour de l’ovale où s’ébattent les chevaux. Ici démarre la route des cascades qui sillone sur 200 kilomètres une alternance de montagnes recouvertes de forêt tropicale humide et de plateaux aux plaines verdies et élevages bovins. Les cours d’eau se transforment en cascades en différents endroits offrant des scènes idylliques : arc-en-ciel prenant forme au pied d’une cascade, cascade jaillissant de la forêt tropicale face à nous qui traversions un pont suspendu. Même si nous avons déjà fait plusieurs randonnées dans la forêt tropicale, chacune a son identité. Dans celle-ci les oiseaux se font plus bruyants, les fruits dont ils se nourrissent sont plus visibles…les serpents aussi ! Ecailles noires et ventre rouge, une nouvelle fois c’est une des filles qui l’a repéré, immobile, au bord du chemin. La tête plate et pouvant se dresser comme un naja, nous supposons qu’il est très venimeux. Nous nous trompions. Le red-bellied black snake est l’un des serpents les plus communs d’Australie et sans risque sérieux pour l’homme. En revanche, notre recherche nous fit aussi préciser que le serpent que nous avions rencontré sur les marches du phare de Byron Bay était un brown snake, délicieuse espèce extrêmement vénimeuse pour l’homme.

Heureusement, nous devions retrouver juste après, l’un des plus grands amis de l’homme ! Non, pas le chien, mais le dauphin bien sûr ! Nous nous rendîmes à Nelson Bay, dans la grande et belle baie de Port Stephens, bien évidemment dans laquelle le Capitaine Cook fit aussi un tour ! Cette baie mesure deux fois la taille de la baie de Sydney et accueille à l’année un groupe d’une centaine de dauphins dits bottle-nose, on devine pourquoi. C’est à bord d’un catamaran que nous allâmes à leur rencontre. Comme souvent dans le règne animal, les mères forment un groupe avec les petits qu’elles gardent à leurs côtés pendant deux ans. Les mâles évoluent séparément en petits groupes. Certains rejoignent l’une des deux autres colonies résidant plus au large, à l’extérieur de la baie. La population des dauphins est stable dans la baie depuis de nombreuses années, ce qui est positif. Les bébés naissent…et d’autres meurent, attaqués notamment par les requins bouledogue et les requins blanc qui évoluent aussi dans ces eaux. Le pélican qui nettoie son plumage perché en haut d’un luminaire bordant la plage lui s’en moque. Il règne sur cette petite crique bien agréable et alterne toilette minutieuse et vol en rase-motte avant de se poser sur l’eau tel un hydravion. C’était l’endroit idéal pour nous délecter d’un déjeuner de poissons et fruits de mer au Little Boat Beachhouse. Nous pûmes ainsi goûter au fameux et délicieux Barramundi, poisson mythique d’Australie, semblable à la perche et évoluant dans les cours d’eau.

Ce n’est pas une hallucination Aborigène mais bien un phénomène naturel qui est à l’origine de l’appellation Blue Mountains. L’huile dégagée par les troncs des eucalyptus, qui contribue d’ailleurs à la violence des incendies australiens, forme un écran qui, vu depuis Sydney, colore les montagnes d’un film bleu. En se rapprochant, c’est en réalité un paysage de falaises et de canyons qui nous a rappellé un peu le Blyde River Canyon d’Afrique du Sud. L’histoire de leur formation est d’ailleurs similaire : plusieurs centaines de millions d’années, la fracture du Gondwana et la dérive des continents, et enfin la baisse des eaux qui vient lessiver et découper la roche. Au Blyde River Canyon, les Three Rundavels coiffent l’une des falaises. Dans les Blue Mountains, les tours de garde naturelles s’appellent les Three Sisters ! Après leur avoir rendu visite, elles nous regardèrent depuis leur promontoire nous diriger vers Sydney, dernière étape de nos premières trois semaines sur les routes d’Australie et où nous rendîmes notre camping-car.

Sa localisation au coeur d’une baie très découpée mais protégée a contribué à son développement et aussi à son urbanisme unique. On y circule en train, en bus et en ferry. Assez profonde, la baie s’est formée avec la montée des eaux dans les derniers 10 000 ans. Elle est étroite et les sauts de puce d’une rive à l’autre sont rapidement faits. Au coeur de Sydney, le Circular Quay, lui-même assez petit et auquel accostent les ferries mais aussi les bâteaux de croisière. Tout semble très resserré, comme si les périodes de l’histoire de Sydney s’étaient bousculées et collées les unes aux autres, aimantées par le Circular Quay. Surplombant le Circular Quay en son centre, de hautes tours dont certaines en construction, indiquent la proximité du CBD (Centre Business District). Bien sûr, Sydney a sa Eye Tower comme presque toutes les autres grandes villes du monde maintenant. Sur chacun des deux éperons enserrant le Circular Quay se dressent les deux emblêmes de la ville érigés au XXème siècle, le Harbour Bridge et le Sydney Opera. Le Harbour Bridge transforma la ville en reliant les deux côtés de la baie en 1932 et facilita son expansion et la diversité de ses quartiers. L’Opéra de Sydney fut quant à lui une véritable aventure architecturale, rappelant à Olivier celle de l’Aqualagon. Près de 250 projets soumis. Un trait de génie architecturale et une inspiration magique, une compréhension juste du passé et de l’ambition du lieu, des commanditaires conquis. Puis commence le long et ardû chemin du dessin à la réalisation. Il fallut le tourner dans tous les sens pour pouvoir industrialiser et assembler ses pièces. Le budget bien évidemment s’envola, étant multiplié par 15. La politique s’en mêla. L’architecte en chef claqua la porte et ne revint jamais, cloîtré dans sa fierté. La ténacité des habitants de Sydney et des autres architectes sur le projet finit par accoucher après 15 ans de travaux, en 1973, de l’un des plus célèbres opéras du monde, aux voiles dressées vers le ciel, variant du blanc au beige selon l’éclat du soleil.

Surplombant le coeur de Sydney et ses deux emblêmes, le vieil observatoire marqua longtemps la mesure pour les bâteaux en indiquant l’heure exacte chaque jour à une heure de l’après-midi, afin que les équipages règlent leur chronomètre. Ce fut l’un des observatoires qui contribua à établir les premières cartes du ciel, fruit d’un effort collaboratif des astronomes du monde entier, tout une partie du ciel australien, dont la Croix du Sud décorant le drapeau du pays, n’étant pas visible depuis l’hémisphère Nord. Il regarde vers le large, là où Sydney arbore ses plus belles plages comme la très réputée Bondi Beach où les surfers de tout niveau s’en donnent à coeur joie et où un dimanche de 1938 il fallut sauver plusieurs centaines de baigneurs emportés par trois vagues scélérates. Cette prouesse scella définitivement l’utilité des clubs de surfeurs sauveteurs. Aujourd’hui, sur la plage, ce ne sont pas les nageurs mais les milliers de morceaux de bois calcinés que les vagues ramènent jour après jour, conséquence des feux énormes qui ravagèrent la région il y a bientôt deux mois.

Et les Aborigènes ? Ils étaient bien là pourtant lorsqu’accosta Arthur Philipp en 1788 avec ses 11 bâteaux, 750 condamnés pour des petits larcins comme un vol de pomme, et 250 marins. Plus precisément, il s’agissait du clan des Gadigal. Les Anglais parlèrent de tribu, le début d’une ignorance et d’une incompréhension qui devaient durer de nombreuses années. Après une première année difficile, la colonie grandit. Alors qu’elle commença à puiser largement dans les ressources naturelles de la baie, jusqu’alors soigneusement utilisées par les Aborigènes, les premières tensions apparurent. Il y eut quelques combats, quelques massacres. Mais ce fut surtout la maladie qui décima les Aborigènes. La variole, small-pox. Les estimations varient mais les Aborigènes étaient entre 250 000 et 500 000 à l’installation des premiers colons. Ils sont aujourd’hui presque 800 000, soit 3.3% des 24 millions d’Australiens. Dans les rues de Sydney, on ne les voit pas. Il faut se rendre dans les galeries d’art pour trouver une ou deux salles dédiées à l’art aborigène. Pas plus.

De fait, depuis notre arrivée à Cairns et notre descente vers le Sud, les Aborigènes n’ont cessé de se faire de plus en plus rare. Autour du port originel, ce sont les Anglais, puis Européens, puis émigrés du monde entier qui ont peuplé petit-à-petit les collines. Rapidement les condamnés, sont devenus ex-condamnés une fois leur peine purgée, puis minoritaires. Le commerce se développa. Le quartier des Rocks devint le quartier des équipages, des entrepôts de marchandise. Ces ruelles étroites furent un temps mal fâmées alors que les pubs déversaient des litres de bière dans les gosiers des mousaillons. La richesse de la ville grandit. On y mit de l’ordre. Les grands établissements de commerce et les banques ouvrirent dans d’imposants bâtiments aux lignes victoriennes.

Et sinon, les Aborigènes ? Bien évidemment, ils sont importants, essentiels, s’empressent de répondre la guide qui nous accompagne dans les couloirs de l’Opéra. « Nous travaillons beaucoup avec eux ». Et de citer le son et lumière de sept minutes projeté chaque soir sur les voiles de l’Opéra. Nous restons sceptiques. Car au-delà des noms Aborigènes de nombreux lieux, il semble qu’on ne se soit empressé que récemment de rajouter dans les différentes attractions touristiques, la page d’histoire originelle qu’était celle des Aborigènes. En quittant le centre-ville sur le ferry qui nous conduit à Mosman où nous résidons, nous nous réjouissons de la prochaine étape qui nous attend : le Red Centre. Le plein pays Aborigène, où nous espérons mieux appréhender l’histoire énigmatique de ce peuple, du Vrai Peuple, comme ils se nomment.

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