Hué l’Impériale

Hué l’Impériale

Le train démarre lentement sa course vers Hué, depuis Da Nang que nous avons rejoint en taxi, empruntant un joli parcours qui longe la côte à travers les collines et en surplomb de belles criques. Nous partons à l’heure comme nous l’avons toujours été avec les trains Vietnamiens d’ailleurs, à la différence des avions ! Trois heures plus tard nous atteignons Hué sous le soleil et une température de 27°C.

Notre chambre d’hôtes n’est qu’à quelques centaines de mètres des remparts d’un rose passé qui entoure la Cité Impériale. Tout autour court une douve en eau à la manière de nos places fortes. Clairement, on sent l’inspiration de Vauban dans la disposition de ces murs et de leurs renforts. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle également la Citadelle. Avant même d’entrer dans la Cité Impériale, l’histoire s’invite à nous sur l’immense place nue qui fait face à l’entrée et de l’autre côté de laquelle un drapeau Vietnamien gigantesque flotte au bout d’un mât flanqué sur un bastion austère. Il y fut dressé par les Vietcong lors de l’offensive du Têt en 1968. 23 ans plus tôt, de l’autre côté de la place, devant la porte du Midi, accès principal à la Cité Impériale, le dernier Empereur, Bao Daï, remit le pouvoir au Vietminh. Il mourra dans l’abandon le plus total, en France, en 1997. Grandeur passée et modernité du Vietnam réunies en un seul lieu.

Les urnes des Empereurs

On pénètre par la grande porte flanquée de cinq ouvertures. Celle du milieu est réservée à l’Empereur et sa famille, les portes adjacentes pour les mandarins et les portes les plus éloignées pour les soldats, éléphants et chevaux. Le plan de la Cité s’inspire des cités impériales chinoises. On y trouve plusieurs quartiers chacun horné de palais de temples ou d’habitations et lieux de divertissement. Juste après l’entrée, le quartier officiel où se déroule les cérémonies, réceptions et audiences à l’empereur. Le palais du trône fait toujours suite à une esplanade où les mandarins et invités attendent leur audience. Au Sud-Ouest, le quartier où l’on honore les Empereurs Nguyen et les parents de Gia Long, premier Empereur Nguyen. Plus loin le quartier de la reine-mère, habitation et pavillons pour recevoir des invités. Dans différents quartiers, des parcs et jardins incitant à la promenade et à la méditation. Au cœur de la Cité, la Cité pourpre interdite où seul l’Empereur, les femmes et les eunuques pouvaient accéder. Nous sommes en Orient. Un petit théâtre perdure, l’un des plus vieux du Vietnam. Dans d’autres bâtiments s’est installé un centre d’artisanat où l’on produit entre autres, chapeaux coniques, lanternes et bâtons d’encens.  De l’ensemble se dégage une belle harmonie et toute l’opulence des Empereurs Nguyen qui vivaient ici, coupés de la réalité de la vie des Vietnamiens, ce qui contribua au mécontentement de la population, notamment les paysans et à leur déclin. Les toits aux tuiles jaunes tranchent sur le ciel bleu et les portes aux motifs en bris de porcelaine n’ont rien à envier aux palais de l’enceinte.

A quelques encablures de la Cité Impériale, dans la campagne environnante de Hué se trouvent les tombeaux impériaux, désormais tout aussi célèbres que la Cité des Empereurs. Selon la croyance Vietnamienne, les morts continuent de vivre dans l’au-delà et d’influencer la vie sur terre. Ils dorment, travaillent, mangent et s’amusent et il faut les honorer pour leurs bienfaits et bénédictions. C’est la raison pour laquelle chaque Empereur, de son vivant, supervisa les plans de son propre Mausolée : une véritable résidence que l’Empereur utilisait souvent comme résidence secondaire comme pour se familiariser avec ce qui deviendrait sa dernière demeure. Le tombeau de l’Empereur ne constitue qu’une partie de ces mausolées qui atteignent souvent plusieurs hectares. Des sépultures pour la femme de l’Empereur ou certains membres de sa famille peuvent être également prévues. Au minimum, on trouve aussi un temple pour vénérer l’empereur, devant lequel se dresse une place où attendent éternellement statues de mandarins et d’éléphants. Une stèle reprend la biographie de l’Empereur. Les bassins et lacs d’agrément y sont nombreux. Dans les plus grands comme celui de l’empereur Tu Duc, on trouve aussi des pavillons de divertissement où l’on s’adonne à la pêche ou à la lecture de poèmes. Si des points communs structurants se retrouvent, chaque Mausolée a sa spécificité et son histoire.

L’Empereur Tu Duc écrivit sa propre biographie auto-critique reflet de son règne mouvementé où il réprima durement divers mouvements de contestation. On dit même que son corps ne repose pas dans son tombeau mais un peu plus loin, dans la forêt, enterré par des sourd-muets que l’on fit venir de loin pour cette occasion afin qu’ils ne révèlent pas le secret. Ce refus d’investir le royal tombeau reflétait-il un remords de n’avoir pas été digne de sa charge d’Empereur ?

…et deux tourterelles

L’Empereur Minh Mang mourut avant la finalisation de son tombeau. Son tombeau n’est pas visible. En haut d’un escalier menant à une butte, une porte de bronze garde son dernier sommeil et ne s’ouvre qu’à chaque anniversaire de sa mort. On creusa un tunnel secret pour enterrer son corps sous la butte, puis on le reboucha. Cela nous fait fortement penser à l’Egypte et ses pyramides, dernière demeure des pharaons, dont la construction avait également lieu pendant le règne de ces derniers.

L’Empereur Khaï Din enfin dénote par la taille de son mausolée plus petit que les autres, le style extérieur utilisant le béton et imitant le fronton de château à l’Européenne, et l’intérieur rutilant de couleurs et de richesse. Avant-dernier Empereur du Vietnam, il était déjà méprisé pour sa collaboration avec le colonisateur Français.

Sur le chemin des tombeaux impériaux nous nous arrêtons à la pagode Thien Mu. Au-delà de sa belle stupa de 21m et de sa cloche portant jusqu’à 10 kilomètres, elle est tristement réputée pour les actes de rébellion de certains de ses bonzes qui, dans les années 70, s’immolèrent par le feu en pleine ville pour protester contre la répression anti-bonze de Dièm, chef du Vietnam Sud et catholique.

La stupa de 21m
La cloche portant à 10km

Les yeux remplis de toutes ces merveilles nous retournons à notre chambre d’hôtes en faisant un détour par le Village SOS d’Enfants d’Hué. Nous y tenions car celui-ci fut créé et financé en 2000 par Van et Kim (si vous ne savez pas de qui on parle, lisez l’article « Destination Science »), sous leur propre impulsion. Ce n’est que plus tard qu’il intégra le réseau des Villages SOS d’Enfants. Près de 70 enfants y résident, de tous les âges. Particularité, un centre de formation au métier de boulanger y est installé. Créé par des étudiants de Paris, il est destiné aux jeunes de 18 ans défavorisés ou abandonnés et n’ayant aucun métier. Une formation de 18 mois leur donne une nouvelle chance grâce à laquelle ils peuvent intégrer l’une des boulangeries également créées à Hué et Ho Chi Minh. Nous sommes accueillis une nouvelle fois avec une extrême générosité. Une famille nous a confectionné de magnifiques bouquets de fleurs en papier. Un repas délicieux nous est aussi offert avec de belles spécialités de Hué, certaines cuites dans des feuilles de banane. Nous ne restons qu’une heure et demie sur place mais nous y sentons déjà bien. Les petites filles nous accompagnent dans notre visite. Les plus grandes nous saluent et s’expriment dans un anglais remarquable. Un éducateur partage fièrement avec nous ses projets de développement, recueillant à chaque fois notre avis. Derrière ces sourires et ce dynamisme, on distingue le merveilleux de ce qui est réalisé ici au quotidien. Le dernier arrivé a été déposé devant le portail du village. Les parents ont appelé pour prévenir de leur abandon mais le bébé avait disparu. Il avait été pris par une passante qui comptait s’en occuper. On la rattrapa à temps. Celui d’avant fut trouvé au beau milieu d’une rizière, presque gelé. Il fut ramené et sauvé au village. Aujourd’hui, il est en pleine forme. Ici aussi, les « anciens » sont fidèles et reviennent souvent au village pour voir leur mère, leur famille. Ils sont bien insérés dans la société, gagnent leur vie et soutiennent financièrement le village pour que d’autres soient sauvés, comme eux.

Elena, Miki et une des “Mères”
Eh oui, il ne pleure pas!

Sans l’avoir prévu, nous terminons notre voyage au Vietnam sur ce moment émouvant et plein d’espoir. Les guerres d’indépendance du Vietnam se sont terminées hier. Elles ont fait perdre de nombreuses années de développement à ce pays débordant de potentiel. Le rattrapage est en cours et les vietnamiens avides d’apprendre et de se connecter à la croissance mondiale. Cela prendra encore un certain temps tant la société est encore beaucoup fondé sur l’agriculture et l’artisanat, avec des pratiques et des outils encore très rustiques. On ne peut s’éviter de penser qu’avec la course au développement, ce sont ces pratiques traditionnelles qui risquent de disparaitre pour des outils modernes et plus productifs. C’est ce même enjeu que rencontre chacune des 54 ethnies dont les frontières avec le monde moderne se réduisent petit à petit. Nous espérons que si Dieu nous donne à revisiter le Vietnam dans 20 ans, l’âme du pays n’en sera pas trop transformée.

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