Quy Nhon, un voyage dans le temps

Quy Nhon, un voyage dans le temps

C’est une ville méconnue des étrangers et touristes. Elle est rarement incluse dans les tours organisés et les guides touristiques ne lui consacrent que quelques pages. Pourtant, elle propose une des grandes et belles plages de sable du Vietnam et de jolis villages de pêcheurs aux bâteaux colorés ainsi que des îles et criques aux eaux cristallines atteignables en quelques miles nautiques à peine.

Vous ne voyez toujours pas? Bon, précisons. Quy Nhon se situe dans la partie centrale du Vietnam, en descendant vers le Sud. A l’issue de la guerre d’indépendance avec la France, Quy Nhon se retrouva dans le Sud-Vietnam, délimité au Nord par le fameux 17ème parallèle (qui ne passait d’ailleurs pas exactement au niveau du 17ème parallèle!) et une base Américaine y fut d’ailleurs implantée.

Ici le climat est tropical, notamment du fait d’une belle période de moussons entre mi-Septembre et mi-Décembre, donc en ce moment, mais il ne pleut pas toute la journée! Le climat est donc chaud et humide et la température la plus froide ne descend jamais en-dessous de 18°C.

Quy Nhon, une ville au Sud du Centre…
La séparation du Vietnam suite à la guerre d’indépendance contre la France

Historiquement, la ville et sa région ont connu quelques belles pages.

Tout d’abord, Quy Nhon était l’un des principaux ports du royaume Champa dont la capitale Vijaya se trouvait à seulement 25kms. Les Chams sont originaires de Malaisie et d’Indonésie. Excellents marins et commerçants, ils se sont installés dans la partie centrale du Vietnam dès le début de notre ère. Leur royaume s’unifia vers le IIème siècle et demeura au centre du Vietnam jusqu’au XVème siècle (!) où il se désintégra notamment sous la pression du royaume du Dai Viet au Nord (les Vietnamiens) qui petit à petit les absorba. Le Sud du Vietnam était à cette époque majoritairement occupé par les Khmers. Les Chams étaient de religion majoritairement hindouiste puis également musulmane. Ils laissèrent derrière eux des constructions en briques rouges, notamment les fameuses tours Chams, lieux de culte destinés à certaines divinités hindouistes, variant selon le lieu et l’époque. A l’intérieur, on y trouve souvent des linga-yoni sculptés. Pour les béotiens, il s’agit d’une représentation d’un sexe masculin et d’un sexe féminin entremêlés. Pour les connaisseurs, il s’agit de l’une des représentations des formes de perfections du dieu Shiva.

A une quarantaine de kilomètres de Quy Nhon, se trouve également le village de Tay Son, célèbre dans l’histoire Vietnamienne pour sa révolte et la dynastie qui en suivit, prenant son nom: la Dynastie Tay Son. Depuis le début du XVIIème siècle et pendant presque deux siècles, le Vietnam était partagé en deux: les Nguyen en Annam (le Centre et Sud du Vietnam) et les Trinh au Nord (le Tonkin à l’époque) qui s’affrontaient régulièrement tout en maintenant leur partage des territoires. Prenant racine dans un mécontentement général notamment des paysans et des commerçants, du fait de la corruption des élites et du système injuste de propriété des terres, la révolte Tay Son fut déclenchée et organisée en 1771 par trois frères originaires du village de Tay Son. Ils s’appelaient: Nguyen Hue (le plus talentueux et futur roi Quang Trung), Nguyen Nhac et Nguyen Lu. Ils créèrent une véritable armée du peuple dans la région, ils l’entraînèrent et marchèrent d’abord contre les Nguyen qui régnaient au Sud (oui, on sait, eux aussi ils s’appellent Nguyen…mais ce n’était pas les mêmes!) puis ensuite contre les Trinh au Nord. Cela leur prit une quinzaine d’années. Quy Nhon fut la première ville “libérée” et devint leur capitale. Dans la foulée, ils repoussèrent aussi les Chinois qui tentèrent de profiter du bazar ambiant mais furent éconduits manu militari. Ils régnèrent tous les trois mais ne profitèrent de leur victoire que très peu de temps, les Nguyen du Sud reprenant le pouvoir en 1792. Pourtant, ils sont célèbres tant pour leurs grandes batailles et victoires militaires, que pour leur tentative de renverser le système pour le rendre plus juste et qui préfigura la révolution vietnamienne qui eut lieu au XXème siècle, contre l’ancien régime et les forces coloniales.

Les filles et les trois frères Nguyen, héros de la révolte Tay Son
Bataille de la dynastie Tay Son contre les Chinois

Plus de 100 ans plus tôt, dans la première partie du XVIIème siècle, c’est également à Quy Nhon que débarqua Alexandre de Rhodes. C’était la grande période des missionnaires chrétiens arrivés dans les valises des commerçants Italiens et Portugais en 1615. Ces derniers parcouraient le pays pour évangéliser. Pour le succés de leurs missions, ils établirent des premières traductions entre le vietnamien, le latin et le portugais. Arrivant quelques années plus tard, expulsé mais revenant après quelques temps, Alexandre de Rhodes allait marquer l’histoire du pays en ajoutant aux premières transcriptions de la langue vietnamienne en caractères latins, les marques phonétiques notamment à l’aide des accents permettant de reproduire les intonations complexes de la langue vietnamienne. En 1651, il publia un dictionnaire annamite-latin-portugais accompagné d’une grammaire, qui contribua grandement à la diffusion de la religion mais aussi à la démocratisation de la connaissance dans tout le pays. A partir de ce moment, l’écriture de la langue vietnamienne en alphabet latin et intonations (le Quoc Ngu) contribua à matérialiser l’indépendance vis-à-vis du dominateur Chinois. Avant son expulsion définitive, Alexandre de Rhodes assista aux premières attaques contres les catholiques que la dynastie en place, après les avoir tolérés, décida de bannir. Il ramènera ainsi à Rome la tête du premier martyr chrétien du Vietnam, André de Phu Yen qui fut éxécuté devant lui à Mang Lang. Le bienheureux André de Phu Yen fut béatifié en 2000 par le pape Jean-Paul II.

Un saut de presque 250 ans plus tard nous mène sur les traces du Père Maheu. Quel rapport avec Alexandre de Rhodes? Le Père Maheu était également missionnaire et sa première affectation fut justement Quy Nhon où il débarqua à l’âge de 26 ans. S’ensuivirent presque 30 ans de séjour au Vietnam principalement autour de Quy Nhon marqué par des pauses à Hong Kong ou en France, parfois de plusieurs années, pour se reposer d’épuisement ou de maladie. Il dirigea notamment l’imprimerie-librairie de la mission de Lang Song qui contribua à diffuser de nombreux livres en langue vietnamienne “moderne” (Quoc Ngu) tels que des dictionnaires, des manuels scolaires, des ouvrages pour les séminaires et également des revues pour divers usages. Le Père Maheu s’intéressa également au sort des lépreux, délaissés par la population. Il fonda avec le Dr. Lemoine une léproserie à quelques kilomètres de Quy Nhon, à Quy Hoa. On décrit ainsi son arrivée: ” Un beau matin, nous vîmes arriver dans une jonque un lit de bois, quelques chaises, une table, un phonographe, beaucoup de livres, un ascète aux yeux lumineux : c’était le Père MAHEU qui s’en allait consacrer sa vie aux lépreux”. En 1930, près de 150 malades habitaient déjà la léproserie. Le père Maheu mourut en 1931, en France. Il est enterré au cimetière de Montparnasse. Aujourd’hui, la léproserie existe toujours. On y soigne encore quelques patients et on s’y occupe surtout des descendants des familles affectées. Une communauté de soeurs franciscaines missionnaires de Marie oeuvre également à leurs côtés et dans le village qui s’est développé autour.

Nous, nous sommes dans le parc de l’ICISE, à Quy Hoa, lieu où nous logeons pour notre mission au Vietnam. Ce petit village et sa léproserie sont nos plus proches voisins.

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