Sung (Vietnam)

Sung (Vietnam)

Sung est née en 1982 dans un village proche de Sapa, Nord-Vietnam. Le mois, le jour, elle ne sait pas. On ne lui a jamais dit. C’est une Hmong noire, l’une des 54 ethnies présentes au Vietnam.

Les Hmongs noirs habitent la région montagneuse au Nord du Vietnam ainsi que le Laos et le Sud de la Chine frontaliers. Il existe d’autres Hmongs. Les Hmongs fleuris (portant une jupe très colorée), les Hmong verts, Hmongs blancs et les Hmongs rouges. Dans l’ensemble, toutes les ethnies sont amicales les unes envers les autres, solidaires en tant qu’ethnies. Sung porte le costume des Hmongs noirs sauf pour son écharpe colorée sur la tête qui vient des Hmongs fleuris. C’est juste parce qu’elle n’arrive pas à loger ses longs cheveux dans la coiffe des Hmongs noirs.

Sung a 4 frères et 3 soeurs. Sa mère vit encore mais son père est mort quand elle avait 10 ans des suites d’un cancer dû à l’alcoolisme. Sung n’est pas allée à l’école. Elle ne sait ni lire ni écrire. Elle a commencé à travailler aux côtés de sa mère à l’âge de 8 ans pour apprendre les tâches des femmes à la maison et aux champs. Elle surveillait les buffles d’eau. A 14 ans, elle a pleinement travaillé à la plantation et la récolte du riz, le filage, le tissage et la couture des vêtements et articles d’artisanat. L’hiver, elle aidait sa grand-mère dans son échoppe.

Ses parents ne lui ont jamais parlé des guerres d’indépendance contre la France et les Etats-Unis. Seulement de celles contre la Chine à la fin des années 70, début des années 80.

Sung a une petite maison. Au rez-de-chaussée on trouve la cuisine et une pièce principale qui sert de salle à manger et de lit. Une autre pièce sert de chambre d’enfants…et d’atelier également. A l’étage, on stocke la récolte de riz et de maïs que l’on fait sécher.

Sung s’est mariée à l’âge de 19 ans. Contrairement à la plupart des filles Hmongs dont les parents choisissent le mari à l’âge de 14 ans, Sung a choisi son mari, dans un autre village que le sien. Du coup, ses parents ont été très mécontents. D’autant plus que son mari est de religion chamanique. La famille de Sung, eux, sont catholiques. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils virent d’un oeil bénéfique l’arrivée des missionnaires français qui ont permis d’aggrandir leurs églises, alors qu’on en limitait la taille jusqu’alors, ne souhaitant pas donner trop d’importance à cette religion. Son premier mariage (chez la mariée) fut donc très simple et rapide: un repas de une heure avec 20 personnes seulement car ses parents ne voulaient rien faire. Le deuxième mariage du côté de son mari fut en revanche plus conséquent, surtout en nombre d’invités. Mais lui aussi ne dura que quelques heures comme la plupart des mariages Hmongs.

Sung a quitté le village de ses parents pour rejoindre celui de son mari. Elle a habité huit ans avec ses beaux-parents avant d’obtenir leur accord pour avoir sa propre maison avec son mari car elle avait deux enfants et en attendait un troisième.

Sung a eu 5 enfants aujourd’hui âgés de 5 à 16 ans. 4 filles et 1 garçon. Le garçon est l’aîné. Dieu merci! Tout l’héritage lui reviendra donc selon la tradition. Sung a accouché chez elle de quatre de ses cinq enfants. Seule, avec son mari. Le cinquième? Elle était partie travailler, seule, dans la montagne. Son mari était quant à lui parti pour une semaine. Les douleurs l’ont prise soudain et en 20 minutes le bébé est venu. Elle a accouché seule, au milieu des rizières en escalier. Elle a coupé le cordon ombilical avec son couteau de travail, a emmitouflé le bébé dans l’écharpe colorée dont elle se coiffe la tête habituellement puis s’est dirigée vers la maison. Arrivée là, elle a nettoyé le bébé, l’a mis au chaud et a bu ensuite de la soupe avec du poivre, comme on donne habituellement chez les Hmongs aux jeunes mères pour reconstituer leurs forces.

Deux des enfants de Sung vivent encore avec elle, les autres sont dans des internats à Sapa et dans des villages environnants. Elle a le droit de venir les voir tous les weekends mais elle n’a pas le temps car elle travaille beaucoup. Elle essaie quand même de venir les voir une fois par mois. Ces deux plus grands enfants sont revenus récemment à la maison en se plaignant de ne pas avoir de religion, comme leurs camarades, puisque leurs parents n’ont pas la même et avaient décidé de ce fait de n’imposer à leurs enfants aucune des deux. Le mari de Sung, compréhensif, a donc dit que le fils, l’aîné, pouvait choisir la religion qu’il souhaitait avoir, pour lui et ses soeurs. Son meilleur copain étant catholique, il a choisi la même religion. Les enfants se sont donc faits baptiser. Mais leurs parents n’étant pas mariés à l’église catholique, le prêtre a demandé qu’ils le soient. Alors Sung s’est mariée cet été, en Août 2019, à l’église catholique, et porte maintenant une alliance.

Sung et son mari possèdent un champs de riz et quelques poulets pour avoir des oeufs. Son champs de riz mesure 9 grands rangs (ou marches) que ses beaux-parents leur ont légués et 14 petits rangs qu’ils ont achetés ensuite avec son mari. Tout le riz qu’elle produit est stocké et utilisé pour la consommation de la famille. Elle ne le vend pas. Il en est de même des quelques autres plantations qu’elle peut avoir. Dans le Nord du Vietnam, on ne peut faire qu’une récolte de riz, contrairement au Sud Vietnam où l’on peut monter jusqu’à quatre récoltes grâce au climat. Ici on mange du riz trois fois par jour. De la viande, deux fois par semaine seulement.

Sung se lève à 5h30 et se couche à 22h30. Chez les Hmongs, on ne fait pas la fête, on ne chante pas. Mais on boit de l’alcool.

Il y a 9 ans, Sung a décidé de devenir guide pour une agence, en plus de travailler dans les champs. Elle accompagne des touristes de plus en plus nombreux, ce qui lui apporte un revenu supplémentaire. Elle gagne en moyenne 6 millions de Dongs par mois soit presque 250 euros.

Depuis 5 ans, son mari a de sérieux problèmes aux reins. Il doit souvent aller en ville pour faire des dialyses, parfois prévues, parfois en urgence. Il ne peut plus travailler au champs. Donc Sung fait tout. De toute façon, ici les hommes travaillent surtout à fabriquer les maisons et sinon discutent beaucoup entre eux ou font de la moto. Les femmes font la majorité des tâches. Elle avait un buffle d’eau pour travailler le champs et qu’elle avait acheté avec son mari 38 millions de Dongs (env. 1500 euros), dont 20 millions empruntés à la banque. Malheureusement cette année, elle a perdu son buffle. Il a été attaqué par deux autres buffles agressifs qui l’ont poursuivi. Dans sa fuite, son buffle affolé s’est jeté dans une pente raide, se causant de lourdes fractures. Il ne pouvait qu’en mourir. Sung et son mari l’ont tué.

Sung nous a accompagnés pendant 3 jours de visite et de marche dans le Nord Vietnam. Toujours à rire et sourire, sautiller, interpeller les filles. Elle gambade dans les rizières, avec ses claquettes en plastique. Elle adore être au contact des touristes qui lui apprennent ce qu’elle n’a pas pu apprendre à l’école ou de ses parents, sur le monde et sur l’histoire de son propre pays. Elle s’est mis à l’anglais depuis un an et parle avec un accent plutôt bon comparativement aux Vietnamiens. Elle retient tout un tas d’expressions marrantes, même dans d’autres langues dont le Français. Ainsi, elle ponctue certaines de ses affirmations, voyant notre regard douteux, d’un “C’est pas mytho!”.

On marche, on discute, on rigole, on blague sur nos âges, les premiers cheveux blancs…et tous ceux qui suivent, notamment dans la chevelure d’Olivier! On la complimente car n’en a pas. Elle répond que l’on n’a pas bien vu les rides autour de ses yeux. “C’est parce que tu ris autant” lui dit Olivier. “Non, c’est parce que je pleure tous les jours” explique-t-elle d’un ton léger mais clair. Ce n’est que quelques jours plus tard, après avoir parcouru un bout de chemin avec elle que nous avons compris tout ce que ces mots contaient de son histoire personnelle et de la pénibilité de sa vie qu’elle ne laissa jamais transparaître un autre instant.

Bitnami