Townships

Townships

8 heures du matin le long de la voie rapide qui remonte vers le Nord-Est pour sortir de la ville. Longeant les voies où camions et voitures roulent à vive allure, des Africains, principalement noirs de peau, marchent.

Certains forment un groupe d’une dizaine de personnes environ, comme pour rendre la marche plus conviviale, moins pénible. D’autres par grappes de 3 ou 4 attendent ensemble l’un de ces fameux van-taxis partagés qui s’arrête tant qu’il n’est pas plein et prend la course à 10 Rands par passager (environ 60 centimes d’euro). Plus loin, un autre homme tend dans sa main un billet en faisant signe aux voitures de s’arrêter. Une version adaptée de l’auto-stop, comme s’il fallait convaincre de ses bonnes intentions et de sa loyauté. Certains plus téméraires attendent le bon moment pour traverser…ou encore redescendent tranquillement le long de la barrière de sécurité…qui sépare les voies en leur milieu! Qui dira qui de la voie rapide ou des habitations ont été construites avant l’autre mais en parfaite connaissance de cause et que l’on diviserait en deux des quartiers et des familles qui n’auraient de cesse de vouloir se retrouver? Un peu plus loin certains marchent sans rien attendre, la tête déjà chargée d’un quelconque fagot en relation avec leur activité du jour. Quelques mètres au-delà, une demi-douzaine de travailleurs s’entasse dans l’un de ces nombreux pick-ups breaks couverts que l’employeur a mis à disposition pour aller les récupérer et les ramener sur leur lieu de travail, en même temps, à la même heure.

Un matin, en bordure des townships.

Vue d’un des townships du Cap

Toutes ces personnes se rendent en ville pour travailler car, en représentant plus de 85% de la population, ils sont la force vive de l’Afrique du Sud. Ce sont eux que l’on rencontre au supermarché en train de décharger une livraison, recharger les rayons ou à la caisse; eux dans les stations service pour vous faire le plein et nettoyer vos pare-brises (ici le lavage automatique serait une catastrophe économique en coupant tous ces emplois); eux encore dans les petits commerces pour les besoins de tous les jours ou encore dans les postes administratifs de la poste, des hôpitaux; eux encore au bord des routes pour des travaux de jardiniers ou bien de rénovation (à chaque fois, un homme ou une femme-trafic à chaque extrémité…là encore les feux automatiques seraient une catastrophe!). Eux aussi les plus démunis qui, officiellement, affublés d’un gilet jaune ou orange, ou officieusement, vous aident à garer votre voiture et la gardent pour moins d’un euro quelque soit la durée. Ou bien eux qui aux carrefours circulent entre les voitures pour vendre statuettes en bois, graines à planter, ballons ou cordons pour recharger son portable…parce que faire la manche, ça n’est ni digne, ni lucratif.

Ils sont Zoulous, Xhosa, Sothos, Tswanas, “Coloureds” (ou métis)…tout sauf Blancs. Ils vivent dans les townships et chaque matin luttent pour se rendre au centre-ville depuis leur quartier surchargé. Les Coloureds ont un statut particulier leur assurant un quartier spécifique, parfois même hors du township. Mais le métissage peut s’avérer tout aussi terrible psychologiquement car semblant n’appartenir réellement à aucune culture.

Pour quiconque traverse l’Afrique du Sud, il est impossible de manquer les townships, même sans vouloir les visiter. Leur disposition est caractéristique. D’un seul coup, la densité de l’habitat se fait beaucoup plus forte comparativement au centre-ville et les habitations plus petites. Un mélange de baraques en bois, en tôle et en béton. Un patchwork de micro-jardins bien tenus et de jardins dépotoirs. Aux heures de pointe ou encore le dimanche, les rues y grouillent de monde et d’activité. On y ressent instantanément la vie de village.

Nous n’avons pas eu le temps au Cap mais lorsque nous avons quitté la ville et que l’étendue des townships nous a frappés de plein fouet, il nous fallait absolument nous immerger, même lors d’une visite de seulement quelques heures, dans l’un de ces townships. Ce fut à Knysna. L’un des plus petits townships d’Afrique du Sud mais tous les basiques sont là.

Au-delà d’une simple curiosité, voire même loyauté, envers la réalité du pays, nous en avons ressenti un sincère besoin, venant de Zambie où nous avions vécu au milieu des populations Africaines des différentes tribus bantoues. Les hommes et femmes noirs qui peuplent l’Afrique du Sud ne sont pas différents. Et pourtant ils manquaient tant dans les paysages que nous avions vus au Cap.

Nous avons retrouvé dans le township la même culture, la même énergie et la même débrouillardise que nous avions observées en Zambie. Mais le contexte racial, social et politique dans lequel se sont formés les townships a dramatiquement accru la misère, la dureté et la violence de la vie dans ces quartiers ainsi que la difficulté d’en sortir.

Lors de notre visite nous avons entre-aperçu des rayons de soleil à travers la misère quotidienne: de l’entrepreunariat dans de simples containers loués ou achetés là où aucune aide n’existe (cordonniers, coiffeurs, épiciers), de l’entraide et de la convivialité entre les habitants, des fondamentaux parfois plus préservés que dans certaines des pires banlieues françaises: des écoles et lieux de culte très respectés, une clinique gratuite en plein milieu du township, un grand plan de reconstruction en cours. Débuté en 1995, ce dernier donne la possibilité aux personnes vivant encore dans des baraques en bois et gagnant moins de 5000 Rands par mois (300€) de se faire construire une maison en béton de 40m² gratuitement (tout en gardant possiblement leur maison en bois initiale si le terrain le permet). 40m². Ce n’est rien mais déjà beaucoup ici.

La musique encore et toujours: pour exprimer son identité et s’évader, espérer…

Une transformation est clairement en marche, initiée par l’énergie positive et incroyable de Nelson Mandela qui a tant fait pour installer les fondamentaux de la nouvelle Afrique du Sud sur les bases du pardon et d’une société multi-raciale. Mais 350 ans d’histoire et d’oppression ne s’effacent pas en 30 petites années. Surtout, il est extrêmement sensible et épineux de vouloir définir la société Sud-Africaine idéale. Vouloir que l’ensemble des Africains noirs et métis quelque soit leur origine vive dans les mêmes conditions que les blancs Afrikaans est utopique. Car eux-même ne le voudraient pas et y seraient malheureux. Les success-stories du township gardent souvent leur logement au township. Pour inspirer. Pour donner de l’espoir. Mais laisser persister de telles disparités de vie serait inhumain.

Les Sud-Africains écrivent cette histoire et il faudra bien encore 50 ans pour voir ce qu’il en adviendra. A l’heure où nous écrivons cet article, nous avons déjà atteint le Drakensberg et traversé les campagnes et montagnes pour y découvrir des villages. Les maisons y ressemblent étrangement à certaines des townships mais beaucoup plus espacées. Chacun y a son jardin. Les formes architecturales des huttes ancestrales sont reprises régulièrement dans les constructions en béton. On y ressent un mélange plus acceptable entre l’héritage bantou, la décence qu’exige toute vie humaine et la vie en communauté si importante pour les Africains.

Cette réalité nous dépasse. Bien trop complexe pour nos esprits étriqués d’Européens et de simples êtres humains. Nous conclurons donc sur ce slogan, écrit sur l’une des baraques du township de Knysna, suite à un incendie qui ravagea une cinquantaine d’habitations en 2017: “When something is gone, something better is coming”.

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